Gérer l'urgence IT : l'expérience d'Aurore Butrot, DSI de Transition

Face aux crises IT, chaque minute compte et chaque décision peut changer le cours des événements. Pour Aurore Butrot, Manager de Transition IT, ces tempêtes ne sont plus des surprises, mais des épreuves où l'expérience et le leadership font toute la différence. À travers ses confidences, elle nous plonge dans les coulisses de ces moments critiques, partageant des anecdotes et des enseignements précieux. De la gestion des équipes en pleine tourmente aux choix stratégiques qui s'imposent, cette interview révèle l'art de diriger en temps de crise avec authenticité et efficacité.
Anticiper l'imprévu : L'importance des plans de secours
Aucune transformation IT ne se déroule parfaitement. L’une des expériences les plus marquantes que j’ai vécues a été la nécessité de revenir en arrière sur un déploiement critique.
Nous avions lancé un nouvel outil de gestion d’entrepôt, un projet stratégique qui impactait toute la chaîne logistique : des commandes aux livraisons en passant par la facturation. Nous avions suivi le plan prévu, mais, par excès de confiance, nous avions sauté une partie des tests car le prestataire nous assurait que tout était sous contrôle, que la bascule se ferait sans encombre. Dès la mise en production, tout s’est effondré.
Le constat a été brutal : les délais de traitement des commandes étaient trop longs, les flux étaient désorganisés, et l’activité était au bord de l’arrêt. “À ce moment-là, il a fallu prendre la décision la plus difficile : revenir en arrière. Annuler la mise en production signifiait assumer un échec temporaire, mais c’était le seul moyen d’éviter un désastre opérationnel et financier.
Les conséquences ont été lourdes. Au-delà de l’impact direct sur l’entreprise – pertes de chiffre d’affaires, retards de livraison, mécontentement des clients – la crise a profondément affecté les équipes. Nous étions tous épuisés. Plus de 120 heures de travail dans la semaine, des jours et des nuits à résoudre des problèmes… et malgré tout, ça ne fonctionnait pas. L’annonce du rollback a été un coup dur pour tout le monde.
Dans ces moments-là, l’essentiel est d’agir avec méthode. J’ai pris une heure pour m’isoler, analyser la situation et structurer un plan. Une fois en war room, nous avons exposé les faits, posé des priorités claires et réaffecté les ressources. La clé, c’est d’être transparent : il ne s’agit pas de minimiser l’échec, mais de transformer la crise en un point de rebond.
Depuis, les pratiques ont évolué. Nous avons systématisé la préparation de scénarios de repli et renforcé la rigueur des tests. Dans chaque projet à risque, nous prévoyons désormais des plans de rollback détaillés, parce que l’expérience a prouvé qu’il est toujours plus facile de revenir en arrière quand cela a été anticipé.
Garder son sang-froid et rassembler les équipes
Dans une crise, l’impact humain est souvent aussi critique que les aspects techniques.
“Je me souviens de ce collaborateur, un grand gaillard d’un mètre quatre-vingt-dix, qui a craqué en pleine réunion : ‘Je n’y arriverai pas.’ Ces situations sont fréquentes. La pression est immense, les équipes sont épuisées et doutent. C’est là qu’intervient le rôle du manager : il faut à la fois donner du temps pour respirer et maintenir un cap clair.
Gérer une crise ne signifie pas uniquement résoudre un problème technique ; c’est aussi soutenir les équipes pour éviter qu’elles ne s’effondrent sous la pression. Il est essentiel de prendre du recul, de poser des étapes claires et d’éviter les réactions précipitées. Je pars du principe que si l’on agit trop vite, sans réfléchir, on prend souvent de mauvaises décisions.
Mon truc à moi, dans ces situations extrêmes, c’est de m’isoler une heure seule pour faire le point. Faire redescendre le stress et réfléchir seule. Mais chacun sa méthode !
Dans ces moments de tension, la communication est un levier majeur. “Nous avons mis en place des points réguliers, des temps d’échange pour que chacun puisse exprimer ses blocages et proposer des solutions. Une crise ne se résout jamais seul, c’est une dynamique collective.”
L’importance de la transparence du management
Une gestion de crise efficace repose aussi sur un alignement fort avec la direction générale. Or, un manque de clarté dans les attentes peut sérieusement compromettre une mission.
"ll m’est arrivé d’arriver en mission sans que le DG n’ait réellement explicité mon objectif au reste de l’équipe. Il laissait les équipes dans l’ignorance de mon rôle exact. Résultat ? Un climat de méfiance, des tensions inutiles, et une mission qui devient un parcours d’obstacles.
Pour éviter cela, un cadre clair doit être posé dès le départ. Tout est acceptable, à condition que ce soit dit. Si l’on attend du DSI de Transition qu’il restructure une organisation, qu’il tranche dans les effectifs ou qu’il remette à plat des pratiques, il faut que cela soit assumé par la direction. La transparence est la seule façon d’éviter un climat délétère.”
La posture du DSI de Transition : un franc-parler indispensable
“Après avoir découvert le métier de Manager de Transition je ne veux plus être un DSI traditionnel qui subit mais aller droit au but. Aujourd’hui, j’exerce dans une entreprise, mais je dis les choses telles qu’elles sont, et je mets immédiatement en lumière les problèmes.”
Cette posture est essentielle pour garantir une efficacité maximale. “Un DSI de Transition ne peut pas se contenter de subir. Il doit être force de proposition, fixer des objectifs clairs et ne pas hésiter à refuser ce qui n’est pas réalisable. L’illusion du ‘ça passera’ mène toujours à des échecs.”
L’enjeu est aussi de redonner du sens aux équipes IT. “Dans beaucoup d’entreprises, on observe une fracture entre les équipes infrastructures et les équipes applicatives. Pourtant, sans un socle technique solide, aucune transformation n’est possible. Remettre chacun à sa juste place et favoriser les échanges est un levier de performance essentiel.”
Une approche pragmatique consiste à instaurer des réunions régulières pour fluidifier la communication. “Ce qui fonctionne à chaque fois ? Une réunion mensuelle où chaque équipe partage ses projets, ses blocages et ses solutions. Une heure par mois qui fait des merveilles.”
Conclusion
La gestion des crises IT ne repose pas uniquement sur la technique, mais avant tout sur le leadership et la posture adoptée. Un DG transparent et aligné avec le Manager de Transition permet une action efficace et légitime. De son côté, le Manager de Transition doit garder une vision objective, prendre des décisions rapides mais réfléchies, et mobiliser les équipes autour de solutions durables.
Gérer une crise, c'est transformer l'urgence en opportunité, en impliquant toutes les parties prenantes pour renforcer la résilience de l'organisation.